« Selon les propres dires de MALAGUZZI, l’histoire commence six jours après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dans un petit village de campagne appelé Villa Cella.
La population locale, très marquée par les atrocités de la guerre, décide de se lancer dans un projet original : la construction et l’autogestion d’une institution d’accueil des enfants d’âge préscolaire. Il faut offrir aux jeunes générations une chance d’accéder à l’instruction, ouvrir aux classes les moins favorisées de nouveaux horizons. Les habitants sont conscients que le manque d’éducation des classes pauvres a été un facteur de réussite pour le régime fasciste. Profitant de l’ignorance de ces dernières, les dirigeants fascistes les ont utilisées, exploitées, bernées. Ces mêmes hommes et femmes abusés, veulent un avenir différent pour leurs enfants. Ils veulent construire cette école de leurs mains, les nuits et les dimanches.
Pour financer ce projet, les habitants, très impliqués, réunissent les fonds nécessaires pour qu’en huit mois l’école soit construite.
Cependant, tout l’argent récolté a été utilisé pour la construction de l’établissement et il n’en reste plus suffisamment pour assurer son fonctionnement. Pendant vingt ans, avant que l’école ne passe sous le contrôle de la Municipalité de Reggio Emilia, sa survie ne va tenir qu’à un fil, grâce à l’originalité et à la persévérance des habitants.
[…] Pour répondre à la demande grandissante de la population, la municipalité va multiplier les ouvertures d’écoles puis de crèches municipales.
Afin de trouver une cohérence interne, pour former un réseau complet et complexe dans leurs institutions, les acteurs de Reggio Emilia, avec à leur tête MALAGUZZI, vont chercher à créer leur propre pédagogie et unifier leurs pratiques.
Ils mettent l’accent sur des principes divers et multiples comme la recherche, la créativité, l’esthétique, pour favoriser le dialogue, la participation de la population locale, des citoyens. Il s’agit d’une communauté réellement impliquée dans l’éducation des plus jeunes, des 0 à 6 ans.
Cette approche est basée sur des principes forts comme par exemple la démocratie et le droit des enfants, qui passent par l’écoute (une écoute qui se veut riche et attentive), le dialogue (qui se veut ouvert et constant) et la participation (les familles, mais aussi les citoyens qui le souhaitent, font partie intégrante de la vie à l’école ; on parle alors d’une communauté éducative d’où l’appellation la « città educativa » : « la ville éducative »). L’image de l’enfant qui y est défendue est une image très forte et positive d’un enfant riche en potentialités, toujours en quête de sens, créatif. Les adultes ont pour mission de l’accompagner au quotidien et non de le diriger.
À Reggio Emilia, on aime parler de compagnonnage. Leur théorie-phare est celle des « cent langages de l’enfant». Ces cent langages sont, en fait, une métaphore pour désigner les multiples possibilités que l’enfant possède pour s’exprimer, pour communiquer. Parmi les plus connus, nous trouvons : le langage classique (la parole, l’écriture), graphique, mais aussi les langages symbolique, corporel, logique, fantastique, les langages du son, de l’odeur, du toucher, de la lumière… et la liste est encore longue. Tous ces langages doivent être exploités. Il ne faut plus seulement s’intéresser au « lire, écrire et compter ». Les enfants ont tellement de possibilités qu’il est dommage de ne se contenter que du peu. La richesse se trouve dans la diversité. Il faut laisser l’espace nécessaire pour que les cent langages de l’enfant puissent s’exprimer librement, sans contrainte ni barrière.
D’un point de vue organisationnel, une école reggiane est une école moderne, dont l’architecture a été travaillée et étudiée avec soin à des fins pédagogiques (grandes vitres pour favoriser la transparence et la communication) ; l’environnement et l’esthétique sont eux aussi particulièrement soignés.
Les salles de classe sont subdivisées en deux zones contiguës : la salle de cours et le mini-atelier. On y trouve aussi une salle de musique, une salle pour les archives, une grande cuisine ouverte, une cantine elle aussi ouverte, des petites bibliothèques, un atelier… Puisque l’enfant est un être créatif, riche en potentialités, cet atelier a été intégré aux écoles dans le but de permettre à cet être compétent de s’exprimer librement.
C’est très inspiré par les travaux de DEWEY, de MONTESSORI, par les progrès scientifiques de la psychologie enfantine, par le constructivisme et par le socioconstructivisme, que Loris MALAGUZZI décide d’implanter dans chacune de ses écoles communales un atelier et un atelierista (éducateur responsable de l’atelier).
Plus qu’un soutien à l’apprentissage, MALAGUZZI voit en l’atelier un outil pour révolutionner la manière d’enseigner. L’enseignement s’organise en projets et les enseignants ont pris aussi l’habitude de constituer une documentation complète de leurs pratiques qui va leur permettre, par exemple, de revisiter au besoin une situation pédagogique. Ils parlent alors de re-cognition. En ce qui concerne l’organisation humaine à Reggio Emilia, l’enseignant n’est plus le seul maître à bord. Il travaille en duo, avec un autre enseignant. Souvent, ces deux éducateurs sont très différents et complémentaires. Ils peuvent avoir des opinions et des pratiques diverses. En règle générale, ils sont aussi d’âges différents, l’un étant bien plus expérimenté que l’autre, servant quelque fois de modèle au plus jeune, mais il oblige aussi parfois son homologue plus âgé à repenser sa pratique pédagogique et à reconstituer sa pensée pour répondre aux questions et aux interrogations qui peuvent lui être faites. »
Texte issu de https://plone.unige.ch/aref2010/communications-orales/premiers-auteurs-en-d/La%20pedagogie%20de%20Reggio%20Emilia.pdf